A l’aube du XXIème siècle les sociétés humaines doivent affronter de nouveaux défis socio-politiques associés au changement climatique et à l’érosion de la biodiversité.
Alors que l’Europe affronte la seconde vague de la pandémie de Covid-19, l’Afrique de l’Est, est non seulement touchée par le virus mais doit aussi faire face à une autre menaceredoutable, également liée à la fragilisation des écosystèmes naturels, une invasion massive de criquets pèlerins.
L’Ethiopie est particulièrement touchée par ce fléau, le pays étant considéré comme l’épicentre de cette invasion avec près de 200 000 hectares de terrain affectés selon la FAO. Une situation très préoccupante pour la sécurité alimentaire du pays.
Le gouvernement tente depuis plusieurs mois d’enrayer ce phénomène mais manque de moyens tant l’invasion est massive. L’Union Européenne a récemment annoncé qu’elle avait fait un don de neuf millions d’euros pour venir en aide aux autorités locales, mais la situation reste critique.
Ces dernières semaines l’Ethiopie a dû faire face à une recrudescence des criquets pèlerins simultanément dans plusieurs parties du territoire, ce qui rend l’invasion très difficile à endiguer. 200 000 litres de pesticides ont été déversés sur les terres agricoles ces dernières semaines, selon le ministère éthiopien de l’agriculture, mais le problème persiste et les criquets continuent de ravager des territoires entiers.
Les paysans locaux se sentent impuissants face à cette situation. Les techniques traditionnelles (réalisation de filets et fouets en fibres d’arbres tressées, brûlis, etc.) pour éloigner les essaims ne semblent guère fonctionner. Malgré les efforts des communautés locales pour enrayer l’invasion, les criquets pèlerins ont réussi à dévorer des fermes entières, laissant les agriculteurs sans récolte à l'approche d'un des mois les plus froids de l'année. Des témoignages recueillis après des paysans locaux font savoir que c’est la première fois depuis des décennies que le pays n’avait pas été confronté à une invasion d’une telle ampleur. A certaines heures de la journée les essaims de criquets sont tellement massifs qu’on ne voit même plus le soleil, raconte une jeune fermière interviewée par le journal Addis Fortune.
Désormais, l’invasion de criquets pèlerins touche cinq États régionaux et une ville administrative du pays. Le problème dépasse largement les frontières du pays et s'étend à l'Érythrée, la Somalie, Djibouti, au Soudan et au Kenya. Une invasion de cette ampleur n'a pas été observée ici depuis plus de 25 ans, selon les données de l'Organisation de lutte contre le criquet pèlerin pour l'Afrique de l'Est (DLCO-EA). Au Kenya voisin, ce chiffre est de 75 ans.
L'origine de la crise actuelle remonte à la péninsule arabique,il y a près de deux ans, selon les rapports de la FAO. Les cyclones apportant de fortes pluies ont permis à ces criquets de proliférer. Sans être détectés et à l'abri des regards indiscrets, trois générations de reproduction de criquets ont eu lieu. Leur nombre a été multiplié par 8 000, selon la FAO. Les criquets se sont ensuite dirigés vers la Corne de l'Afrique et l'Asie du Sud-Est.
Lorsqu'ils ont commencé à apparaître en Éthiopie en juin 2019, les agriculteurs locaux ont réussi à les repousser. Mais au fil des mois, l'intensité des invasions a augmenté.
Ce phénomène particulièrement inquiétant pour la stabilité socio-politique du pays est ainsi directement corrélé au double effet du changement climatique et de l’érosion de la biodiversité. Des défis globaux que la communauté internationale ne doit pas perdre de vue face à l’urgence de la crise sanitaire. Car ce qui se passe actuellement en Ethiopie est un bon révélateur des défis de demain qui pourraient se poser à un nombre bien plus important de pays.
Shoki Ali Said – Président de l’Association France Ethiopie Corne de l’Afrique
Elodie René – Chargée des partenariats institutionnels et académiques de l’association France Ethiopie Corne de l’Afrique